Les freins liés à l’utilisation des objets connectés – Les réticences des assureurs

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Sommaire du Mémoire

1 — Comment les assureurs peuvent-ils utiliser les objets connectés pour mieux évaluer le risque ?
2 — Notions d’assurance et de risque
3 — La sélection du risque aujourd’hui – Les méthodes traditionnelles de calcul de prime
4 — La sélection du risque aujourd’hui – Les problématiques liées à la sélection du risque actuel
5 — L’apport possible des objets connectés dans la sélection du risque
6 — L’apport possible des objets connectés dans la sélection du risque – L’automobile
7 — L’apport possible des objets connectés dans la sélection du risque – L’habitation / L’entreprise
8 — L’apport possible des objets connectés dans la sélection du risque – La santé
9 — Les freins liés à l’utilisation des objets connectés – Les réticences des assurés
10 — Les freins liés à l’utilisation des objets connectés – Les réticences des assureurs
11 — Conclusion
12 — Bibliographie

Du point de vue de l’assureur, l’arrivée des objets connectés n’est pas uniquement synonyme d’avantages, les assureurs devront en effet faire face à un certain nombre de défis, s’ils veulent s’appuyer sur les objets connectés afin de mieux évaluer les risques.

Des directives qui freinent l’arrivée des objets connectés

La mise en place de ces nouvelles techniques d’évaluation des risques est d’abord un défi organisationnel pour les assureurs. En effet, il va falloir suivre et analyser les milliers de données transmises par les objets connectés et mettre en place des algorithmes permettant une corrélation entre les données obtenues et la prime d’assurance.

Ainsi, l’actuaire va se retrouver avec des masses importantes de données à analyser. Or ces données proviennent de nouvelles sources diverses et variées et sont souvent non structurées et très difficiles à traiter. La nécessité s’impose donc de créer de nouveaux métiers qui permettront d’intégrer les données issues des objets connectés dans le calcul de risques et de tarifs.

Il va également se poser le problème de l’hébergement des données, car c’est toute la chaîne de valeur de l’information, depuis le stockage jusqu’à l’accès et au traitement des données, qui doit être sécurisée. Un dispositif d’autant plus complexe à mettre en place qu’avec les objets connectés, les masses de données sont de plus en plus importantes.

L’évaluation dynamique des risques est aujourd’hui freinée par un cadre règlementaire national et européen qui légifère sur la mise en place d’une tarification individualisée basée sur le comportement des assurés.

La CNIL (Commission Nationale d’Informatique et Liberté) a en effet appliqué, en mai dernier, le règlement général sur la protection des données (RGPD).

Au regard de l’arrivée massive des objets connectés, le législateur européen est venu renforcer la protection des données personnelles et imposer de nouvelles obligations aux entreprises d’assurances.

Les acteurs du marché doivent ainsi adapter leurs offres d’assurance à ces nouveaux cadres réglementaires, législatifs et juridiques, et ce pour accompagner et assurer au mieux l’émergence de nouveaux risques liés à l’arrivée des objets connectés.

reglementation

Parmi les mesures les plus innovantes, nous pouvons citer le principe de « privacy by design » qui impose aux banques et aux assurances de prendre en compte la protection des données personnelles dès la création de nouveaux produits.

Cette directive mentionne également l’obligation faite aux assureurs d’effectuer des analyses d’impact sur la vie privée. Cette obligation amène donc les sociétés d’assurance, non plus à analyser seulement les risques qui pèsent sur elles, mais d’étudier et de limiter ceux qui pèsent sur leurs clients.

Afin d’améliorer la sécurité des systèmes d’information, la directive impose également aux sociétés d’assurances d’avertir l’autorité de contrôle ainsi que les assurés en cas de failles de sécurité dont elles ont été victimes.

Les assureurs doivent, par ailleurs, prouver qu’ils respectent cette directive sous peine d’être amendés à hauteur de 4 % du chiffre d’affaire mondial consolidé en plus des sanctions pénales.

Cette directive nécessaire pour la protection des assurés, freine donc très largement les sociétés d’assurance dans leurs projets d’évaluation des risques comportementaux.

Par ailleurs, même si l’assureur met en œuvre les opérations nécessaires afin de respecter et de protéger les données clients, la législation française interdit de moduler le tarif d’une assurance-santé en fonction du comportement d’un assuré. Generali, par exemple, attend l’aval de la CNIL pour commercialiser son offre de santé connectée, déjà disponible en Allemagne.

Les sociétés d’assurance doivent donc être patientes dans ce domaine tout en accompagnant le changement de mentalité de la société.

Cette législation française contraignante s’associe au manque d’infrastructure qui freine,notamment, l’arrivée du véhicule autonome connecté.

Le 14 mai dernier, Anne-Marie Idrac (dirigeante d’entreprises et femme politique française) a remis un rapport au gouvernement français, pariant sur l’existence de véhicules autonomes sur les routes françaises dès 2020.

Avant de permettre la circulation de ces véhicules autonomes, le gouvernement va devoir adapter le cadre réglementaire dont le code de la route, régler la question de la cybersécurité ou encore préparer la connexion des infrastructures. Au total, l’état se trouve face à plus de 30 chantiers à mettre en route rapidement pour que la France soit « à la pointe » et capable d’accueillir cette technologie.

Ces chantiers seront prévus dans la « loi d’orientation des mobilités » (LOM), qui sera présentée au conseil des ministres d’ici l’été.

D’autres difficultés risquent d’apparaitre pour les assureurs dans les recherches de responsabilités.

En effet, les contrats d’assurance automobile traditionnels risquent de ne concerner que les véhicules non autonomes. Concernant les véhicules autonomes, il semblerait qu’on s’achemine vers un transfert du risque vers le constructeur, qui engagera sa responsabilité en cas de dysfonctionnement du véhicule ou d’intrusion dans le système (cybercriminalité). Les assureurs vont donc être amenés alors à créer et mettre en place un ou des contrats qui permettront aux assurés un accompagnement personnalisé face à la multiplicité des intermédiaires qu’ils auront face à eux.

Le risque d’uberisation de l’assurance

L’apparition des objets connectés constitue une véritable opportunité pour les assureurs, mais ils ne sont pas les seuls sur le marché.

Les assureurs doivent donc anticiper la forte concurrence qui s’annonce et qui se renforce notamment à travers l’uberisation de l’assurance.

L’ubérisation est un phénomène économique basé sur une absence d’intermédiation entre le client final et le produit. Il est le fruit de l’avancée technologique et notamment de la démocratisation d’internet, des smartphones, de la géolocalisation et des objets connectés.

Cette ubérisation de l’assurance pourrait venir de ceux qui ont déjà l’habitude de collecter des données en masse et qui maîtrisent parfaitement et ce, depuis des années, la notion de Big Data : Les GAFA.

Ces derniers sont aujourd’hui en première ligne pour assurer au mieux les consommateurs. Ils savent tout avant tout le monde et peuvent anticiper. Certes, Google Compare (comparateur d’assurance en ligne) s’est soldé par un échec, mais ne peut-on pas imaginer que l’arrivée de la « Google Car » soit une aubaine pour Google, qui serait alors en pole position pour proposer des assurances automobiles à ses clients ?

Les assureurs en proposant une assurance basée sur la technologie et des techniques novatrices ne risquent-ils pas de devenir moins légitimes que leurs concurrents spécialistes ?

Autre concurrent qui se dresse face aux assureurs : les constructeurs. En effet, alors que les véhicules actuellement vendus par les constructeurs automobiles sont pour une grande partie d’entre eux connectés, les constructeurs disposent désormais d’une grande quantité de données clients, des données liées par exemple à leurs types de conduite, kilomètres parcourus etc. Ces données permettent de connaitre parfaitement le profil type des conducteurs possédant un véhicule de la marque.

C’est dans cette dynamique que les constructeurs automobiles proposent désormais des assurances automobiles, correspondant aux besoins de leurs clients et où la prime correspond à l’utilisation du véhicule. Les prix sont alors plus attractifs et le service client coïncide mieux aux attentes lors de l’acquisition d’un véhicule.

Les compagnies d’assurance risquent alors se faire ubériser par les constructeurs des véhicules qu’elles assurent habituellement.

Par ailleurs, il est important de noter que le secteur de l’assurance automobile n’est pas le seul concerné. On peut prendre l’exemple de l’intérêt que porte Google pour la « smart home » qui devrait à terme, lui permettre d’accumuler suffisamment de connaissances sur leurs clients pour lancer une offre d’assurance habitation correspondant davantage à leurs attentes.

Un autre risque important pour les sociétés d’assurance réside dans le fait que les startups créatrices d’objets connectés auxquelles les assureurs se sont associés, accumulent également de la connaissance client. Elles pourront à moyen et long terme, lancer elles aussi une offre d’assurance venant concurrencer les assureurs.

Les assureurs devront donc être vigilants face à l’apparition de cette nouvelle concurrence en s’appuyant sur leur légitimité d’acteur financier solide tout en étant en phase avec l’évolution du marché.

Disparition de la mutualité

Cette tarification dynamique et personnalisée pourrait remettre en cause un des éléments fondateurs de l’assurance : la mutualisation des risques. Avec un système hyper-personnalisé, les assurés qui adopteraient un bon comportement n’auraient plus qu’à verser une prime dérisoire tandis que les personnes identifiées comme « profil à risque » paieraient des sommes importantes.

En effet, l’accumulation des données assortie d’une technique d’analyse plus pertinente permettent aujourd’hui une tarification très efficiente, quasiment individualisée et on peut alors se demander quelle place restera à la mutualisation. Dans un contexte où le « profil risque » de l’assuré ne serait plus basé sur les simples statistiques mais serait au contraire basé sur les habitudes de l’individu, le concept de mutualisation des risques pourrait disparaitre.

Jusqu’à présent, cette individualisation restait difficilement applicable au secteur de l’assurance et les assureurs privilégiaient une segmentation des assurés. Les méthodes actuelles de souscription ne s’appuyant que sur un modèle prédictif imparfait, le Big Data va totalement changer la donne en permettant d ’individualiser à un niveau très fin l’offre d’assurance.

Cette disparition progressive de la mutualisation aurait des conséquences négatives pour les marges de solvabilité des assureurs car les mauvais risques ne seraient plus compensés par les bons risques.

Toutefois, il convient de tempérer cette idée selon laquelle l’exploitation des objets connectés pourrait mettre fin à la mutualisation. En effet, même si ces derniers améliorent l’évaluation des risques ils ne peuvent néanmoins permettre d’établir un modèle prédictif parfait pouvant anticiper la réalisation d’un sinistre. En effet, aucun objet connecté, aussi performant soit-il, ne peut appréhender de manière parfaite ce qui dépend d’un nombre considérable de facteurs. Prenons par exemple le cas de l’assurance conducteur « Pay How You drive », même si le conducteur se comporte bien sur la route, il reste confronté à des risques extérieurs, dus aux autres conducteurs, aux obstacles sur la chaussée ou à la météo.

Autre fait important et sujet de réticence du côté des assureurs, la crainte de voir leurs assurés ne plus être convaincus par la nécessité de l’assurance.  En effet, l’intérêt premier des objets connectés est de réduire les risques.  D’où cette interrogation : si je peux surveiller ma maison depuis mon smartphone, pourquoi devrais-je souscrire une assurance pour me protéger du vol ? L’aléa n ’existerait donc plus.

Chaque assuré pourrait alors être tenté de verser une partie de ses revenus en vue de se préparer financièrement aux sinistres qu’il pourrait subir tout au long de sa vie. Il ne s’agirait plus d’assurance, mais plutôt d’un produit d’épargne. Même si ce changement a peu de chances d’aboutir à court terme (législation obligeant la souscription d’assurance Responsabilité Civile dans certaines branches), il est probable que les banquiers soient mieux armés pour le commercialiser…

Afin de répondre aux sceptiques, les sociétés d’assurances devront donc poursuivre leurs développements digitaux en s’appuyant sur leur rôle de conseil.